14 mars 2009

Paris-Potemkine

Du 20 mars au 1er juillet 2008, la bibliothèque nationale de la ville de Paris offrait ses cimaises à une exposition photographique intitulée Les parisiens sous l’occupation. Retour sur une polémique.

 Comme l’indique la postface du catalogue de l’exposition, les clichés offerts aux regards appartiennent à un fonds exceptionnel de « 1058 vues diapositives sur Paris, les seules vues en couleur faites par un photographe français pendant l’occupation ». Leur auteur, André Zucca (1897-1973), était alors reporter à Signal, revue de propagande allemande. C’est à ce titre, qu’il a pu prendre à son aise des vues de la capitale, alors que toute la zone nord était frappée d’une interdiction de photographier à l’extérieur. C’est également pourquoi il a été le seul Français à bénéficier de films Agfa couleur, technique ultra moderne à l’époque, que les Allemands sont à mettre au point dans un rapport de concurrence acharnée avec la Kodakolor américaine.

Visitant la ville en juillet 1940, Joseph Goebbels, ministre nazi de la propagande, ordonne à ses fonctionnaires de relancer l’activité « pour lui rendre animation et gaieté ». De fait, les images de Zucca montrent des kiosques de musiciens, une offre abondante de spectacles et de distraction. Les avenues, étrangement élargies, sont sillonnées de paisibles charrettes à bras et de bicyclettes. Les parisiens prennent le soleil aux terrasses des cafés, jouent aux cartes, se baignent dans une Seine limpide. Les jeunes femmes, montées sur des talons bizarroïdes, arborent des lunettes de soleil. Il en est qui se remaquillent, d’autres qui pêchent à la ligne. Les enfants font du patin à roulettes au Trocadéro. On flâne aux étals des bouquinistes. On chine à Saint-Ouen. Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.  

Les innombrables séries humanistes d’un Doisneau nous montrent un Paris nostalgique auquel le noir et blanc sied à merveille, justement en ce qu’il contribue à une idéalisation sympathique et quelque peu désincarnée. En couleurs, celles de Zucca, nous deviennent étonnamment proches, au point de provoquer une troublante perte d’échelle chronologique. 

Mensonge historique

Ainsi que le dénonce l’historienne de la photo Françoise Denoyelle, les images exposées tendent à nous faire croire à une occupation allemande qui n’aurait pas été si pénible pour les Français. Un relativisme inquiétant, il est vrai, puisque du même acabit, finalement, que celui professé par le leader d’extrême droite Jean-Marie Le Pen. Françoise Denoyelle prétend même qu’une telle exposition va dans le sens d’une réhabilitation à bas bruit de l’idéologie collaborationniste.  

Si les photos du reporter de Signal scandalisent aujourd’hui, c’est aussi parce qu'elle écornent un peu plus le mythe mensonger d’une France unanimement résistante. Comme avaient pu le faire Le chagrin et la pitié, de Max Ophuls, plongeant dans le quotidien pépère de la ville de Clermont-Ferrand pendant la guerre, ou Lacombe Lucien, de Louis Malle, filmant une France profonde plus opportuniste qu’idéaliste.

Composer des mises en scène pour complaire aux autorités, offrir une imagerie normalisée conforme à une idéologie : c’est la définition du village Potemkine.

 


13 mars 2009

La cabane auprès du golf

Question déco, les cabanes ont la cote. Le centre de postcure psychiatrique de La Mainguais, à Carquefou (44476), possède la sienne, toute jolie. Posée en lisière du terrain de golf, elle rompt quelque peu avec le style des bâtiments voisins. Analyse d’un choix architectural.

Le centre de la Mainguais jouit de bâtiments très beaux et fonctionnels conquis en 2005 sur d’anciens marécages. Les pentes zinguées et la palette jaune gris offrent une harmonie pensée entre un mail (prononcez « maïe » et pas « melle » !) couru par les joggeurs du quartier et un terrain de golf chic et vallonné. Foyers et ateliers partagent une esthétique des plus réussies. Ils se distinguent subtilement les uns des autres, qui par l’emploi de parements de bois, qui par des toitures en zigzags, lesquelles rappellent les usines d’autrefois.

Depuis quelques mois, un nouvel édifice est venu compléter le réseau de bâtiments institutionnels. Il s’agit d’une cabane en tôle mince destinée au remisage des tondeuses à gazon de l’atelier thérapeutique « Espaces verts ». La construction, d’une superficie d’à peu près dix mètres carrés, est à même d’accueillir des individus de taille moyenne, sachant que le critère est actuellement en France de un mètre soixante seize pour les hommes. Au delà, on se cogne la tête.

Elle n’est pas directement accolée à la blanchisserie sa voisine. Une ruelle d’un mètre de large environ permet la circulation des personnes ou le stockage informel de plantations expérimentales en petits godets. De part sa forme générale, ses dimensions modestes, ses coloris, la construction rompt avec le vocabulaire architectural alentour. Seul l’emploi d’un matériau commun (la tôle) l’y apparente lointainement. Un bâillement des portes coulissantes indique une fabrication légère, ou un montage aléatoire, ou les deux.  

La cabane tourne le dos aux golfeurs guidant en procession leurs caddies électriques à quelques mètres de là. Un tantinet frondeuse, la cabane auprès du golf témoigne d’une anarchie bon enfant, et bien française au fond, où il y aurait du Robert Doisneau et du Jacques Prévert, des gens biens. Tiens, vous vous souvenez du film de Jean Becker Les enfants du marais ? Eh bien la cabane auprès du golf, c’est un peu ça : de l’humanisme populiste prompt à réchauffer le coeur. Est-elle incongrue ou dérisoire ? Magnifique à sa façon, la cabane vous plante là sa poésie foutraque de jardin ouvrier. Courageuse de pousser à l’ombre grise d’une blanchisserie qui ne sent pas toujours très bon, elle se déplie en quatre pour résister à l’emprise des normes en tous genres, ne fussent-elles qu’esthétiques.

Et à l’époque qu’on vit, un peu d’esprit de résistance, ce n’est vraiment pas un luxe. 



 

12 mars 2009

Ras le bol général

Un tract du syndicat C.G.T. de Carquefou (44476) reçu par les salariés d'un centre psychiatrique.



Une réponse au document

Chien qui aboie

Réponse à un tract de la C.G.T. du 05-02-2009

 

Les salariés du centre psychiatrique de La Mainguais à Carquefou (44476) reçoivent épisodiquement dans leur boîte aux lettres personnelle des tracts du syndicat C.G.T. Peuvent-ils se reconnaître dans une écriture aussi particulière ? Analyse et commentaires. 


Captation opportuniste des peurs et des angoisses : les quatre premières lignes du tract, qui ont valeur d’introduction, font référence à « un contexte social de grave crise économique économique », lequel induirait que « le rôle de la C.G.T[fût]primordial pour défendre et faire entendre la voix des salariés ». Ben voyons. Ce qui serait « primordial », dans le contexte actuel de crise affreuse, ce n’est pas « le rôle de la C.G.T. », ce serait plutôt la capacité d’engagement de chacun.L’organisation syndicale se pose-t-elle comme unique vecteur possible au respect des droits des travailleurs et à l’expression de leurs souffrances ? « Toutes celles et tous ceux qui se reconnaissent dans nos revendications et nos actions sont invités à nous rejoindre ». « Invités » tempère quelque peu le caractère péremptoire de l’annonce, il était temps.

 

Narcissisme et prosélytisme. Voilà comment ce syndicat C.G.T. accueillerait ses fidèles, pardon, ses futurs membres : non comme des individus critiques capables d’apporter du sang neuf et des idées, mais comme des sujets déjà conquis. Oh, on peut être tracassé d’un besoin de croyance et agité d’angoisses existentielles sans pour autant tomber dans les bras du premier gourou. De même, qu’on peut être investi des préoccupations sociales les plus pures et les plus tenaces et trouver que les « actions » de cette C.G.T. sont à côté de la plaque. De nos jours, il existe des actions plus efficaces et plus modernes que ses tracts énervés ou ses défilés à la papa, si, si.

 

100 % massif

Le mot « foyer » est utilisé dans cinq phrases tout au long du texte. Le lecteur assidu voudra bien comprendre qu’il existe un malaise concernant les salariés œuvrant sur lesdits foyers. Essayons, par exemple, de remplacer « foyer » par « poulailler industriel » et le texte continue de fonctionner comme si de rien n’était. Autrement dit, il est interchangeable… Etonnant, non ? Comme aurait dit l’humoriste Pierre Desproges qui n’était pas le dernier à fustiger la langue de bois. Car, c’est bien de cela qu’il s’agit : de la langue de bois, la plus réjouissante ou la plus insipide, selon le degré de tendresse qu’on veuille bien conserver pour ses auteurs. On ne réfléchit pas plus avec la langue de bois qu’avec des slogans, c’est bien connu. Or, deux slogans criards sont judicieusement placés dans le texte, de sorte à lui conférer une espèce de rythme, comme le refrain dans une chanson. En vertu de l’adage « Chien qui aboie ne mord pas », leur enflure graphique va à l'encontre de toute véritable audace et de toute efficacité communicationnelle. Véhémence de pacotille, quoi. « Il y a un ras le bol général qui n’est pas entendu ! » Tu parles, Charles. L’exaspération des masses (lesquelles ?) et la surdité (de qui ?) Ne cherchez pas, ce qui caractérise avant tout ce genre de phrase, c’est l’anonymat, le flou artistique. Le « n’est pas entendu » ne désigne strictement personne, pas plus que le « général ». « Nous craignions l’enlisement … c’est l’impasse ! » Ouf, si l’imparfait offre un certain effet de style, bonjour l’empilement de métaphores. Des mots éculés, des clichés, du toc.

 

Une seule fois apparaît l’expression « le président de l’ADAH », pour lui rappeler de manière totalement floue des promesses qu’il aurait faites. L’interpellation, qui n’en est pas une, a tout juste l’audace d’un aide-mémoire. Les mesures incriminées sont-elles tombées du ciel ? Le méchant, celui qui n’entend pas, celui qui met la pression, celui qui  barre des impasses où l’on s’enlise les sabots, pourquoi n’est-il jamais nommé explicitement ? Pourquoi le cacher derrière ces verbeux  écrans de fumée ? Les auteurs manquent-ils à ce point de culot qu’il leur est impossible de citer le moindre nom, de rappeler la moindre citation ?

 

Recherche usager désespérément

Dans une formulation généreuse, qui ne veut d’ailleurs pas dire grand’ chose, la loi indique que l’usager doit être « au centre du dispositif ». Ni au centre, ni aux bords, ni nulle part, l’usager est totalement absent du texte cégétiste. Il n’est pas même cité allusivement, ou pour l’anecdote, ou pour sa fonction de faire-valoir. Il est pourtant la raison d’être des salariés du centre de soins, non ? Oubli fâcheux… et confirmation supplémentaire de l’interchangeabilité du texte. Est-ce que lesdits salariés accompagnent des citoyens ou est-ce qu’ils élèvent des poulets ?

___________

 

Si le cégétiste est à l’image de ces tracts identifiables et prévisibles, eh bien il est inoffensif. Comme au carnaval, ses braillements n’ont-ils qu’une fonction cathartique, finalement ?

Allez camarade, étonne-moi encore.

A suivre

Vue basse à la C.G.T.


Les lecteurs suffisamment opiniâtres pour avoir pu passer l’écueil du paragraphe d’introduction auront apprécié les participes bien présents et surtout le remarquable flou syntaxique baignant la longuette première phrase. Ils seront ensuite mieux traités, par un graphisme confortable rappelant les tests orthoptiques de la visite médicale. 

Peut-être regretteront-ils qu’un aussi énorme « Nous appelons » n’ait finalement pas l'ampleur escomptée d’un appel du 18 juin. « J’ai mes limites » reconnaît lucidement Patrice Chapeau, délégué cégétiste pour qui écrire gros n’a rien à voir avec la capacité d’engagement. Autrement dit, par la sagesse populaire : chien qui aboie ne mord pas.

Mélange des genres

Décryptage de Douceur angevine

Comment, par un saupoudrage pseudo-juridique, impressionner son lecteur ? L’exemple publicitaire d’une officine de vente par correspondance. 


Cherchant à impressionner par une dramatisation perverse, le document, qui ne vise qu’à provoquer un nouvel acte d’achat, joue de plusieurs registres et mêle astucieusement les codes iconographiques, de manière à tirer parti de la confusion générée.

La frise d’encadrement, empruntant à l'imagerie du diplôme, signale une distinction honorifique, de nature à flatter le destinataire. Commune au document administratif officiel, la couleur bleue dominante, celle des huissiers, est soulignée d’un rouge marquant classiquement l’alerte. Des formulations légales (« j’atteste sur l’honneur », « pour valoir ce que de droit »), renforcées par la présence combinée d’un cachet et d’une signature manuscrite, complètent un vocabulaire de la sommation (« immédiatement » souligné sur fond rouge »), atténué par la notion d'innocuité (« cadeau gratuit »).

L’émotion du destinataire est sollicitée (conformément à ses conditionnements) suivant le double registre de la distinction (flatteur) et de l’injonction (peur de l’autorité). Disposée en bas à droite, une vignette argentée, s’impose comme conclusion à la lecture. Avec elle, la convoitise, qui n’était jusque là que titillée, impose maintenant le passage à l’acte du familier jeu de grattage, ou la gratification d'un lot (« ensemble de linge de maison ») résulte moralement d'un travail, aussi symbolique soit-il.

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Envoi d'un renvoi

Signé de la vibrionnante Martine Guillo, secrétaire, le « bordereau d’envoi » du « procès verbal » par lequel l’école sociale IFRAMES Le Campus signifie son renvoi à un étudiant de troisième année. 

 


10 mars 2009

Le Français qu'on cause

Décryptage de Douceur angevine

Dans leur texte, Muriel Brzegowy, Patrick Lehoux et Christian Stéphan ont recours à un jargon dont l'hermétisme est renforcé par l’utilisation systématique de concepts. Jonglant alertement avec le bon usage, des formulations quelque peu impropres viennent encore ajouter au oiseux charabia. Exemple : « les questions soulevées [] demeurent pleines et entières », « a confirmé des difficultés importantes », « prend donc acte de la persistance d’attitudes interrogées. » 

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8 mars 2009

C'est pas moi c'est l'autre

Décryptage de Douceur angevine

A travers son livre exposition Prenez soin de vous, la photographe et plasticienne Sophie Calle offre à pas moins de 107 femmes la pâture d’une lettre de rupture (un mail) qu’elle a reçue personnellement. Toutes ces femmes, avocate, commissaire de police, institutrice, normalienne, y répondent selon leur sensibilité et leur « identité professionnelle » respective. Les lectures multiples s'imposent petit à petit comme un matériel de décodage, transposable à toute lettre du même genre, qu'elle émerge du domaine privé ou administratif. La lettre reçue par Sophie Calle devient un archétype. Les analyses suscitées à travers son extrême médiatisation sont transposables, par exemple, à une lettre de licenciement, ou à la lettre de rupture de l’IFRAMES d'Angers

Qu'un amant plaque sa partenaire ou qu'un patron vire son salarié, il apparaît donc que les deux énergumènes utilisent peu ou prou le même discours de justification. Prenez soin de vous met notamment en évidence ce discours qui anime l'auteur de la lettre, de telle sorte que l’événement rupture n'apparaisse pas comme sa décision arbitraire et unilatérale, mais comme découlant fatalement du comportement de l’amante éconduite.  

Voyons la phrase : « L’IFRAMES Le Campus prend donc acte de la persistance d’attitude interrogées tout au long du parcours et de l’impossibilité manifestée par Monsieur … de prendre en compte les observations qui lui sont adressées, de différentes manières, depuis son « entrée en formation ». » A travers un maniériste « on t’avait bien prévenu », l'IFRAMES,  qui ne manque pas de rappeler sa perspicacité et sa magnanimité, dit simplement prendre acte d’attitudes qu’elle a bien repérées, « de différentes manières », depuis le début. « L’impossibilité » relève encore une fois du handicap (surdité ?) et la responsabilité de la rupture est toute entière projetée sur l'autre.

 « Charger l’adversaire des effets de ses propres fautes »

Dans Mythologies, Roland Barthes analyse, entre autres faits de société, le discours anti-intellectuel du leader populiste Pierre Poujade (ascendant spirituel de Jean-Marie Le Pen). Il donne au passage une illustration de ce phénomène de projection, qui se traduit dans son exemple par « la réduction de toute parole adverse à un bruit, conformément au procédé constant des polémiques petites-bourgeoises, qui consiste à démasquer chez autrui une infirmité complémentaire à celle que l’on ne voit pas en soi, à charger l’adversaire des effets de ses propres fautes, à appeler obscurité son propre aveuglement et dérèglement verbal sa propre surdité. »

Psychiatrie nantaise

2, mail de La Mainguais
B.P. 40609
44476 Carquefou cedex
Tél. : 02 40 68 19 68
Fax : 02 40 68 19 87

Conceptologie

Décryptage de Douceur angevine

Qu’est-ce qu’une « identité professionnelle » ? Une identité professionnelle se définit notamment par le port d’un costume et de ses accessoires (la robe de l’avocat, la blouse blanche et le stéthoscope du médecin, l’uniforme et le fusil du soldat). Elle se caractérise aussi par le recours à un certain langage, plus ou moins technique (le louchébème des bouchers), à un discours particulier nourri les références d’une communauté.

Compte tenu de mon « incapacité » posturale présentée comme « majeure » et de mes problèmes identitaires, comment pourrais-je seulement comprendre les explications données dans l’« arrêt de formation » dont je suis l’objet ? D'autant plus que celles-ci utilisent un langage singulier. En effet, le texte, composé de cinq phrases (ou seulement quatre si l’on tient comme une erreur de ponctuation l'usage du point au lieu de la virgule avec les tirets énumératifs) recourt à pas moins de sept expressions jargonneuses ou concepts : « posture d’une personne en formation professionnelle », « construction d’une identité professionnelle », « rapport à l’autre », « confrontation au cadre », « processus formatif », « rapport de forces », « persistance d’attitudes ». Ouf ! L’emploi aussi massif de concepts, dont la compréhension ne saurait être accessible qu’à des interlocuteurs à l’ « identité professionnelle » affirmée, concourt à un hermétisme arrogant qui exclut au premier chef celui qu’il s'avise de décrire.

Ces concepts sont-ils simplement alignés en rangs d’oignons, à la manière d’un étalage bariolé, où leur agencement répond-t-il à une dramaturgie, comme des poupées gigognes ? Dans la phrase « Il recherche systématiquement la confrontation au cadre et ne semble pas pouvoir concevoir d’autres relations dans un processus formatif que le rapport de forces », « confrontation au cadre » et « rapport de forces » sont reliés par un « ne semble » indiquant la supposition ou l’hypothèse. L'hypothèse est circonscrite au contexte d’un  mystérieux « processus formatif ». 

Au fait, est-ce que je suis condamné sur la base de seules suppositions ?

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Quand l'autre est une chose

Décryptage de Douceur angevine

Certaines églises romanes du sud de la France sont ornées de sculptures curieuses montrant des personnages empoignant des pénis disproportionnés. Contemporaines des croisades, il s’agit de caricatures de l’ennemi : l’arabe occupant les lieux saints de la chrétienté. L’arabe, l’ « autre », est ainsi représenté sous les traits d’un être avili par une pratique masturbatoire jugée particulièrement choquante à l’époque. Les sculptures, qui constituent un matériel de propagande, visent à discréditer, chosifier un ennemi, qui, rabaissé au rang de bête fornicatrice, n’est plus du tout un être humain à l’égal de soi. Le but de cette iconographie est de libérer les croisés d’une conscience encombrante, la destruction de cet autre répugnant devenant pour eux une œuvre sanitaire et civilisatrice. Plus près de nous, ce rabaissement propagandiste de l’ « autre » trouve un paroxysme avec les exactions commises en 2006 dans la prison irakienne d’Abou Graïb.

Le procédé dégradant est loin d’affecter les seuls rapports entre l’Occident et l’Orient. Il n’est pas non plus circonscrit au seul domaine de la guerre. En fait, il peut s’observer, à des degrés divers, en tout temps et en tout lieu de conflit interhumains. Ainsi du milieu a priori paisible d'une école sociale française, où, dans un texte marquant la fin brutale de ma formation, Muriel Brzegowy, Patrick Lehoux et Christian Stéphan, dressent de moi un portrait problématique, empreint de condescendance, dans lequel je n’apparais pas comme un être intelligent, sensible, critique, mais comme une espèce de handicapé caractériel.

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5 mars 2009

Personne en situation de handicap

Décryptage de Douceur angevine

L' « incapacité majeure à adopter une posture » relève d’une métaphore médicale, ou plus précisément orthopédique. L’adjectif « majeure » ajoute une dimension superlative à l’assertion qui s’apparente à un diagnostic, lequel diagnostic n’est d’ailleurs pas prononcé à la légère puisqu’il est renforcé par « un constat réitéré ». « Incapacité » est bel et bien synonyme de handicap. Il s’agit d’un handicap de nature physique. « A confirmé des difficultés importantes dans la construction de son identité professionnelle et, au delà, dans son rapport à l’autre » : l’ « incapacité » dûment constatée, qui n’était encore que posturale, se triple d’une dimension psychique (« identité ») et comportementale (« rapport à l’autre »). Et dire que j'ai dû attendre plus de quarante ans pour apprendre que j'étais un poly-handicapé !

Pourquoi est-ce que ce « jury » s’adresse à moi de cette façon ? Est-il a ce point imprégné de sa propre « identité professionnelle » qu’il lui est impossible de concevoir un autre « rapport à l’autre » que celui de la condescendance jargonneuse pour le handicapé ? 

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Marlier l'Africain

Patrick Marlier est un économiste social. Outre son activité de consultant international, il donne des cours dans plusieurs universités françaises. Ses interventions à l’IFRAMES d’Angers ? Un scintillant oasis. La comparaison vaut d’autant plus que l’homme a passé son enfance et une partie de sa vie en Afrique où, nous apprend-t-il, son père était gouverneur. Malle des Indes, ses récits font éclore une épatante imagerie postcoloniale, toute peuplée par des Thomas Sankara et des Bob Denard en veux-tu en voilà. 

Aucunement pédant ou arrogant, Patrick Marlier pratique de salutaires déconstructions. A coups de « Ne vous y trompez pas ! », comme il s’occupe de vous remettre à sa place votre vanité de Français moyen. Ah bon, vous ne saviez pas que chaque Français supportait une dette publique de 19 000 euros ? Bien sûr, le discours du bonhomme est plus ou moins empreint d’idéologie (celle de l’économie sociale), et tout ne se passe pas sans quelques couacs : ses positions pro-chinoises sur le Tibet ou sa croyance dans le moteur à eau, par exemple. Eh bon, imaginez seulement : debout, dos au mur, image plus que convaincante de l’homme qui s’expose, prend des risques, demande : « Y a-t-il des questions sur l’actualité ? » Et c’est parti. Mais l’auditoire n’a pas cette carrure et les questions sont plutôt molles à venir. Ah non, les gens ne sont pas habitués qu’on les traite aussi bien, qu’on aille solliciter ainsi leur participation. C’est que Patrick Marlier défend une pédagogie originale, allant jusqu’à suggérer, très utopique, que les élèves puissent évaluer leur maître. 

N’en déplaise à Philippe Faity, responsable de la formation d’éducateurs techniques spécialisés à l’IFRAMES, aboyant « On n’est pas dans une formation pour s’épanouir ! », le cours de Patrick Marlier, c’est vivant d’un bout à l’autre, c’est docte à souhait, tout rempli d’anecdotes et de joyeuses vannes. Rien à voir avec ces éducateurs vieillissants, ressassants, qui forment encore une bonne part de l'équipe formatrice de l'IFRAMES. Je me suis régalé. Merci, quoi.   

4 mars 2009

Explosion libidinale

Sujet d'un contrôle de psychologie proposé par une jeune formatrice à des étudiants éducateurs dans le cadre de leur diplôme. 

Sujet annulé par la directrice de l'école qui le jugea  « idéologique et ambigu ».

Katia et le serpent de mer

Katia Diet, jeune femme rousse et psychologue, donne un cours de « psychologie du développement » aux étudiants éducateurs de l’IFRAMES Le Campus à Angers. Ses notions très sûres de la normalité tolèrent toutefois des digressions au long cours sur les régimes hypocaloriques ou l’électroménager du troisième âge.

En fin de deuxième année, les étudiants éducateurs techniques spécialisés de la promotion 2006-2009 eurent à subir un contrôle ou ils se ramassèrent tous comme un seul homme, à commencer par le malheureux Hubert et son zéro sur cinq. La performance générale fût qualifiée de « massive » par des évaluateurs perplexes. Au moment où elle découvrit l’intitulé du sujet, Muriel Brzégowy, directrice de l'école, eut un saisissement. Elle le qualifia instantanément d’ « idéologique et ambigu ». Remarquable lucidité qui déboucha sur une exceptionnelle mesure d’annulation collective du devoir. Il est bien entendu que cet « idéologique » s’appliquait au seul devoir, non au cours tout entier de la psychologue.

Annulé, le contrôle de psychologie, comptant pour l’obtention du diplôme, resta en déshérence. Situation embarrassante, décrite d'un sourire jaunâtre par Philippe Faity, responsable de la formation, comme « un serpent de mer ».         

IFRAMES Le Campus

L'entrée principale de l'école. 

10, rue Darwin 
49045 Angers cedex 01 
Tél : 02 41 22 14 70 
fax : 02 41 73 04 64

Il est arrêté d'arrêter

Décryptage de Douceur angevine

« Le jury de formation réuni ce jour a décidé d’un arrêt de formation concernant Monsieur... » : la phrase d’introduction informe le lecteur sur la nature du document qu’il a entre les mains. Il s’agirait donc d’un « arrêt », autrement dit, selon le Robert, « de la décision d’une cour souveraine ou d’une haute juridiction ». Mais « arrêt », relevant du disciplinaire et du juridique (mandat d’arrêt, arrêt de la cour), ne signifie pas seulement jugement ou décret, il est également synonyme d’interruption, suppression. 

Une première phrase ambiguë, qui peut donc vouloir dire, tout aussi bien, que ledit jury rend un arrêt relatif à la formation de Monsieur... (lequel peut être de portée tout à fait variable), ou qu’il interrompt purement et simplement celle-ci. Ainsi, les auteurs du texte ne s’exercent pas seulement à une imitation vaniteuse de la langue juridique mais témoignent aussi d’un grand art de la concision, où l’emploi polysémique d’un seul mot nous renseigne à la fois sur le genre de leur prose (para-juridique)  et sur son objet (l'interruption de la formation).

Politiquement correct

Pourquoi ne pas oser dire plus simplement : « Le jury de formation réuni aujourd’hui a décidé d’interrompre la formation de Monsieur... » ? Non, là où la langue parlée emploierait des lourdé, viré, mis à la porte, la première phrase donne la sentence, par un évasif « arrêt de formation concernant Monsieur... ». L’expression va bien dans l’air d’un temps politiquement correct où, par exemple, de malheureux « candidats à l’immigration sont invités à quitter le territoire ». 

De plus, « un arrêt » est plus vague que l’arrêt. « Concernant Monsieur... » ne me désigne pas vraiment. Imaginons que ce soit mon meilleur ami qui subisse « un arrêt de formation », je serais naturellement concerné, en fonction des liens que j’entretiens avec lui. D'ailleurs, comme tout citoyen un tant soit peu concerné, une foule de choses me chatouille l’éthique : la crise économique, le réchauffement climatique, la vivisection, etc. De quelle manière l’ « arrêt » en question est-il censé me toucher ? Où le placer sur mon échelle d’indignations et de combats personnels ? 

Le texte dit tout au plus qu’il me concerne, sans oser jamais dire qu’il risque de faire de moi un chômeur... 

A suivre

3 mars 2009

Douceur angevine

Le « procès-verbal » par lequel l'IFRAMES Le Campus, école sociale d'Angers, déclare mettre fin à la formation d'un étudiant, à quelques mois de la fin d'un cycle de trois ans.

Il est signé de Muriel Brzegowy, directrice de l'IFRAMES Le Campus, de Patrick Lehoux, formateur dans cette école et de Christian Stéphan, psychologue au centre de postcure psychiatrique de La Mainguais à Carquefou (44476). 

Apportant une connotation juridique, des mots comme « arrêt » ou « procès verbal », en usage ici, contribuent à la solennité de pacotille dans laquelle s’engoncent les membres de ce « jury de formation ». Ils favorisent l’impression de mélange des genres produite par le texte.